The Happy Learner
[La gaieté d’apprendre]

Artiste : Claire Milbrath
Exposition : Du 16 septembre au 22 octobre 2022
Vernissage : 15 septembre 2022, 17h à 20h, en présence de l’artiste
Lieu : Pangée, 1305 avenue des Pins O., Montréal

  • Claire Milbrath est peintre de refuges. Ses tableaux rendent hommage à la rêverie et à la routine, jettent un regard ensommeillé sur nos façons d’exister, de jouer, de prier, de brosser nos dents et de traquer la lumière. Ici, une nature morte représentant une courge d’hiver devient un lieu sacré. Là, un paysage peuplé de cygnes et de cyprès donne à voir un tableau romantique. Pour nous, Milbrath convoque les oasis berceuses et la solitude matinale. Pour nous, elle porte une attention particulière aux moments de grâce qui nous foudroient parfois sans crier gare, comme si on tombait nez à nez avec une cérémonie de jonquilles, de ces jonquilles qui ont l’air si sérieuses et pourtant mortes d’impatience. Le poème « Les jonquilles » de Wordsworth nous vient alors en tête. « J’en vis dix mille d’un coup d’œil », écrit-il, décrivant avec humour une kyrielle de jonquilles dorées, « agitant la tête en une danse enjouée ».

    La grâce que Milbrath peint se situe à la croisée du bizarre et de l’inexplicable, de l’obscur, même, comme un ciel orageux, la surface scintillante d’une flaque d’eau ou un genre de portail. La grâce est ce que l’on s’efforce de trouver — on cherche l’évasion là où elle se terre : c’est l’image d’un pâturage sur une pinte de lait, la fatigue cocasse des tulipes fanées, notre empressement à nous mettre à l’abri de la pluie. Dans cette nouvelle série de tableaux, Milbrath entreprend une étude de la vie quotidienne qui est généreuse, luxuriante et bourrée de miracles. Ses personnages sont en quête de splendeur et de refuges, avides de petits luxes comme l’herbe haute et le café filtre. Ils sont aussi friands de ce qui s’amasse (les bols d’oranges, les bouquets de fleurs dans les bouteilles de lait, par exemple). Une mêlée de joueurs de rugby en pleine bagarre ressemble à un amas de chair, certes, mais dans l’imagination de Milbrath, les joueurs ont quelque chose de gracieux. Empilés affectueusement les uns sur les autres, on dirait presque un amas de câlins.

    Comme dans son travail précédent, les tableaux de Milbrath mettent en scène ses deux alter ego. Il y a d’abord le blondinet musculeux à la peau pâteuse, celui qu’on voit régulièrement arborer des shorts courts et des chaussettes blanches qui lui remontent aux chevilles. Puis le bichon frisé — qui batifole librement ou qui est statufié, façon bibelot (bondissant tel un nuage dans un champ, ses pattes tendues, pieuses). Ces alter ego s’harmonisent d’ailleurs aux paysages utopiques et surréels de Milbrath. Le blondinet est méditatif. Le bichon frisé est brave. Bien campés sur le plan incliné de l’artiste, ils se satisfont de sa perspective tordue. Car Milbrath ne fait pas grand cas des proportions et préfère les espaces intérieurs qui suivent leurs propres échelles, libres et sacrées.

    La salle de bain brune, la cuisine tapissée de céramique rouge et la pièce rose aux fenêtres de style Tudor ont toutes l’air de n’avoir qu’une seule dimension : le réel qu’elles donnent à voir est altéré, fantastique. Chez Milbrath, le brun recouvre presque des pouvoirs magiques : à cause de la couleur, la salle de bain semble perchée en haut d’un arbre. Le rouge est gisant, il inquiète. Le rose, lui, prospère. Le rose est un terrain connu. Le rose est un ensemble de serviettes. Le rose est un coquelicot pâlot. Le rose est une paire de joues qui s’empourprent. Mais il y a plus : une cuisine bleue rappelle l’univers de Rohmer, regorge de détails aux proportions détraquées. Un coquetier en porcelaine semble miniature, comme fait pour une maison de poupée. Dans le même tableau, une chaise est libre, mais n’a pas l’air particulièrement invitante. Ajoutons que les personnages de Milbrath, à moins d’indications contraires, sont rarement accompagnés. Ce sont des rêveurs qui savourent leur solitude. Et ils sont loin de s’empresser de la quitter.

    Texte de Durga Chew-Bose.
    Traduction de Daphné B.

  • Claire Milbrath (née en 1989, à Victoria, Colombie-Britannique) est une artiste autodidacte qui pratique la peinture, la céramique, la couture et le dessin. Elle adopte un style artistique qui rappelle les peintres naïfs, en incorporant à son œuvre de larges bandes de couleurs luxuriantes qui lui servent à échafauder sa composition picturale. Milbrath renouvelle la tradition coloriste en insérant dans son travail des vignettes sur l’amour à sens unique, les fantasmes sexuels et l’innocence de l’enfance. Son travail se concentre autour de la vie imaginée de Gray, personnage qui représente l’alter ego de l’artiste. Lors des dernières années, elle a exposé à la galerie Deboer, Los Angeles (États-Unis) ; à la galerie Eve Leibe, Londres (Royaume-Uni) ; chez The Hole, New York (États-Unis) ; et chez Pangée, Montréal (Canada). Parmi ses expositions de groupe à venir, soulignons Marvin Gardens à New York (États-Unis). Elle est l’éditrice en chef et fondatrice du Editorial Magazine.

    Claire Milbrath est représentée par Pangée (Montréal).